L’humanité a perdu son sourire
mars 29, 2021
*Meltdown : C'est l'une des deux formes de réactions (l'autre étant le shutdown). Ici une incapacité totale à retenir une surcharges émotionnelle. Elle peut passer par des cris, des larmes, de la violence contre soi ou l'autre, accompagné d'une grande sensation de frustration et d'incompréhension.
NB : L’autisme est une condition neurodéveloppementale. C’est-à-dire que la personne ne souffre pas d’une maladie, mais a un fonctionnement cérébral différent. De plus, l'autisme est un spectre et chaque autiste est unique. (ex : certains regardent les yeux et d'autres non)
Seulement, cette fois, ça m'a frustré. On passait un si bon moment et hop, Naël a disparu et j'ai fait l'erreur de vouloir le récupérer.
Cela ne fait que quelques mois que nous vivons ensemble et j'ai encore du mal à repérer les signes d'un effondrement autistique*. C'est parfois si brutal que j'ai l'impression que c'est de ma faute, que j'ai dis un truc qu'il ne fallait pas et qu'il me fait la gueule, comme le faisaient la plupart de mes anciens partenaires. Heureusement, il m'a expliqué comment gérer ses crises quand je m'en rends compte. Un jour, on a découvert qu'en plus d'avoir besoin de sentir son corps être comprimé, le mordre durant un meltdown* l'aidait à le calmer plus que tout autre chose. Il m'a expliqué ne pas vraiment ressentir la douleur dans ces moments-là, que c'est même un soulagement. Quant à moi, je me délecte de son sang comme un nectar divin. Il est gorgé d'émotions dans ces moments-là comme je n'en ai jamais goûté durant mes siècles d'existences. Tellement meilleure et nuancée qu'une proie terrorisée. La première fois, j'ai dû rassembler toute ma lucidité pour m'écarter de sa gorge et ne pas le tuer. Il a mis des jours à s'en remettre.
Cette fois, je sais parfaitement quand m'arrêter. Je retire mes crocs de sa pauvre gorge tandis que ses jambes ne le maintiennent plus debout. Je le retiens contre moi puis le porte jusqu'à son lit. Ses yeux sont ouverts mais vitreux. Il lui faudra quelques minutes pour reprendre connaissance et quasi 24 heures pour s'en remettre complètement. L'avantage, c'est que ça reste toujours moins long pour lui que de devoir gérer la crise tout seul puis d'attendre de retrouver toute sa forme. Quant à moi, en revanche, je viens de retrouver une énergie débordante et une jeunesse éclatante. Je retourne rapidement dans la salle de bain pour attraper une compresse et des pansements. Un coup d'œil dans le miroir et je constate que j'ai gagné 15 ans. On dirait que je suis même plus jeune que Naël.
Je retourne dans la chambre pour soigner sa gorge avec toute la délicatesse que je peux avoir. Il lève enfin des yeux plus lucides vers moi accompagné d'un petit sourire hébété.
— T'es... sexy, murmure-t-il d'une voix rauque. Merci...
Ses yeux se referment, sa tête se relâche. Il dort déjà.
Je lui dépose un baiser sur la joue.
— Bonne nuit petit ange...
Je n'aime pourtant pas les vampires d'habitude alors le challenge était plus grand. Et pour le handicap, j'ai choisi l'autisme qui me touche particulièrement.
De nombreux obstacles jalonnent ces objectifs pourtant simples : Godrick prend trop de temps à se garer. Le froid de l'extérieur me crispe encore un peu plus. Je dois retirer mes chaussures qui ont trop de lacets. Et voilà qu'il se décide à me parler :
— Ca va ? Tu veux faire quoi ?
Il s'est placé devant moi. Je fuis son regard, je le contourne dans le couloir trop petit de son appartement. Vite mon sweat !
— Rien, est tout ce que je parviens à lui répondre, un peu trop sèchement en plus.
— C'était vraiment une agréable soirée. J'ai eu l'impression que la serveuse avait compris pour mes dents, tu penses qu'elle a cru que c'était un déguisement ?
Il me suit dans le couloir jusqu'à la salle de bain. Je retire mon pull que j'ai envie d'émietter tellement sa texture est désagréable ! Pourquoi j'ai mis cette merde ?!
— J'sais pas, me forcé-je à lui répondre malgré la crispation de ma gorge.
J'attrape mon sweat, large, doux, confortable. Vite : l'enfiler.
— Tu veux plus me parler, qu'est-ce qui va pas ?
Godrick et ses yeux argentés me regardent d'un air à la fois agacé et penaud, ce qui m'agace encore plus. Bordel ! Il m'empêche encore de passer ! Je veux mon rocking-chair ! Rectification, j'ai un besoin vital de mon rocking-chair, là, tout de suite !
— Si si, ça va..., soupiré-je. Pousse-toi.
Il ne se pousse pas du tout et me regarde intensément.
Je bous, ça y est...
Godrick, pousse-toi... Je vais déborder. Et tu ne comprends rien...
— Mais dis-moi qu'est-ce que t'as ! s'agace-t-il. C'était pas une bonne soirée ?
— Mais putaaain ! Laisse-moi passer ! Laisse-moi tranquille ! explosé-je en crispant mes poings à m'en enfoncer les ongles dans les paumes.
— Ok. Merde... tu fais un meltdown*, murmure-t-il.
J'ai envie d'envoyer valser tous les objets de cette foutue salle de bain. Hurler ma douleur. Être seul à tout jamais pour ne pas casser tout ce que je vois. C'est comme si un démon prenait possession de mes sensations, de mes désirs... de mon coeur.
Godrick m'attrape par le bras. Je me débats. Je crois que je vais le frapper. Heureusement, il est plus fort que moi. Il attrape mon deuxième bras, les plaques tous les deux le long de mon corps et me pousse contre le mur. Il se colle contre moi de tout son poids. Je ne peux plus faire un seul mouvement. Je ne peux que ressentir mon corps et ses douloureuses protestations, cette explosion dans l'entièreté de mes cellules, et Godrick est comme un soldat, un héros de guerre qui se jette sur la grenade pour protéger tous les autres de la déflagration. Sauf que lui sait désamorcer la bombe. Il vient glisser sa bouche dans mon cou et enfonce ses crocs dans ma gorge. Face à ce torrent émotionnel qui me submerge, la douleur agit uniquement comme un calmant. Je grogne, me crispe encore un peu plus si c'est possible puis, presque brutalement, tout mon corps se relâche. Je ne suis plus que du sang qui sert à le nourrir. Plus rien d'autre n'a d'importance. Je n'ai plus besoin de faire aucun autre effort insurmontable, comme le fait de me montrer un minimum sociable avec la serveuse, interpréter correctement ses blagues, comme le fait d'avaler cette nourriture finalement trop visqueuse pour moi, supporter le bruit trop fort du restaurant, du cinéma ou encore comme le fait de me remettre des émotions de ce film si poignant. Je ne m'étais même pas rendu compte qu'il m'avait ému à ce point... Je me rends toujours compte trop tard que j'ai dépassé mes limites.